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Enquête sur le comptage des manifestants
Qui peut attester d’un bon chiffre ?
La production controversée de l’indépendance statistique
Pour l’historien des sciences Theodore M. Porter, “les métriques et standards ont souvent eu pour rôle par le passé de porter un idéal démocratique”. Ils auraient permis de prendre des décisions politiques et administratives sans intervention subjective. Cette approche représentait une solution à l’arbitraire royal qu’il s'agissait de mettre à distance à l’heure de la Révolution française. Laisser le pouvoir seigneurial décider partialement des mesures commerciales, agricoles - entre autres - sans suivre des conventions adoptées par tous entraînaient des inégalités de traitement, un manque de maîtrise du peuple de mesures qui régulaient pourtant une grande partie de leur vie, un sentiment d’asservissement. Les outils formels de quantification auraient donc rendu partageable à l’échelle nationale un système de conventions de distance, temps, espaces des propriétés agricoles, densités, températures… Ces mesures auraient donc assuré une connaissance du monde dépourvue de tout jugement personnel et arbitraire.
Un tel idéal démocratique de quantification, associé notamment à une pacification des rapports sociaux, peine à se retrouver en termes de comptage des manifestants. Le succès d’outils de quantification reposent sur des conventions standardisées, reproductibles et acceptées par les citoyens, via une confiance dans les institutions en charge de les utiliser. Pour Theodore M. Porter, l’objectivité s’acquiert quand une uniformité des routines et usages s’observe au sein d’un groupe et s’institutionnalise. En effet, ce phénomène ne s’opère pas entre les compteurs : les conventions de chaque acteur divergent, les institutions publiques ou privées en charge de mener à bien le comptage ne parviennent pas à imposer une compétence faisant l’unanimité. Dans la partie précédente, Comment compter, ces conventions ont été déterminées à travers les pratiques de mesures employées. Ici, nous aborderons les enjeux de la construction de l’autorité des institutions en charge de produire l’objectivité du comptage. Celles-ci sont souvent critiquées sous l’angle de leur partialité et nous analyserons quelles formes prennent ces critiques et comment les institutions y répondent. Sera révélée une pluralité de manières pour des institutions de fabriquer leur compétence en matière de production du chiffre.
Quelle légitimité possède un individu pour valider ou infirmer une méthode et ses résultats ? Comment peut-on évaluer la légitimité d’un système de comptage et ses compétences ? Par ces jugements, ce sont aussi les compteurs qui sont évalués et critiqués. Se trouvent ainsi une série d’enjeux et d'interprétations des méthodes de comptage qui mènent à une critique du comptage et pose la question de la légitimité.
La centralisation des compétences de calcul dans une arène fermée : la production de l’objectivité par la préfecture de police de Paris
Les préfectures sont les acteurs responsables pour l’État de produire le chiffre officiel en matière de comptage des manifestants. Jusqu’à une date récente, les préfectures médiatisaient relativement peu leurs pratiques de comptage. Face aux critiques récurrentes quant à ces pratiques, la préfecture de Police de Paris a changé significativement sa façon de justifier son chiffre. Pour ce faire, en 2014, le Préfet de Police, Bernard Boucault, charge une commission de vérifier l’exactitude du système de comptage employé par la police. Nous allons nous intéresser à cet événement comme un moment critique permettant d’analyser les ressorts de la légitimité des préfectures à produire un comptage indépendant.
“C’était tout de même une idée qui tenait beaucoup du préfet de police de l’époque [ndlr Bernard Boucault]. Celui-ci était très sincère dans son projet de transparence de la préfecture, puisque c’était un objectif qui allait jusqu’à une volonté de terrain d’entente entre les manifestants et la préfecture sur le comptage.” (entretien Pierre Muller)
Pour renforcer la crédibilité de son institution, le Préfet de Police en appelle à la science en composant la commission d’acteurs bénéficiant d’une autorité académique ou statistique. Cette commission se composait ainsi de Pierre Muller, inspecteur général de l'Insee, Daniel Gaxie, professeur de science politique à Paris-I-Panthéon-Sorbonne et Dominique Schnapper, sociologue et directrice d’étude à l’EHESS en présidente.
La commission eut notamment pour rôle d’évaluer la méthodologie de comptage empruntée par l’institution. Cette méthodologie avait déjà été « professionnalisée », à partir de 2008, par le directeur du renseignement alors en poste, René Bailly, pour répondre aux critiques émergentes. Le point de critique principal auquel la commission devait apporter une réponse était relatif au fait que les conditions de production du chiffre de la préfecture n’était dévoilé au grand public. Seul le chiffre final était publié, une fois validé par le Ministère de l’Intérieur. Cette opacité de la méthode était fortement critiquée car perçue comme un manque de transparence. Tout d’abord, revenons sur la méthode de la Direction du Renseignement que la Commission détaille dans son rapport. Puis, nous décrirons les recommandations proposées dans ce dernier.
Lors d'une manifestation, les agents répartis sur différents points de comptage en hauteur comptent à l’aide d’un “compteur à main”, et filment le cortège, du même point de vue. Cette initiative prise par René Bailly avait pour but de préciser la fiabilité du chiffre grâce à un second comptage réalisé en différé, avec ces vidéos. Cependant, le résultat de ce second comptage n’est jamais communiqué alors qu’il est considéré comme plus précis :
« la qualité obtenue par ce visionnage en différé est de meilleure qualité que le visionnage en temps réel ».
Deux hypothèses ont été formulées pour comprendre les raisons pour lesquelles la préfecture de police ne communique pas ce chiffre :
1/ Elle juge inutile d’informer d’un chiffre en différé, « leur publication deux jours après la fin de la manifestation ne fait plus partie de l’actualité “chaude” », d’après la Commission.
2/ Elle trouve la démarche dénuée d’intérêt statistique puisque « soit les images en différé infirment le premier chiffre évoqué et donc décrédibilise le système de comptage soit elles confirment ce chiffre et donc n’avancent à rien », d’après Pierre Muller.
Les recommandations contenues dans le rapport proposent néanmoins à la Préfecture de publier ce second chiffre car « la confirmation des chiffres par une méthode encore plus sûre ne peut que susciter la confiance du public de bonne foi.»
Les prises de vues vidéo ont également été des supports à une ouverture dans la production du chiffre. En effet, elles permettaient à Bernard Boucault de proposer aux organisateurs ou autres acteurs du comptage de venir observer ces vidéos afin de vérifier par eux-même le chiffre obtenu. Les efforts de transparence de la Préfecture de Police ont également consisté en une invitation à observer les policiers au moment du comptage. Mais ceux-ci ont eu « assez peu de succès » d’après Pierre Muller.
Par ailleurs, la publication du rapport et le fait que celui-ci soit toujours disponible illustrent l’ouverture de la production du chiffre de l'institution: la méthode y est publiquement détaillée par les experts externes cités précédemment et leurs recommandations, dévoilant ce qui pourrait s’apparenter à des failles, y sont présentes également.
Aujourd’hui, le second chiffre réalisé via visionnage, n’est toujours pas communiqué. Ce type de données gardées secrètes, auquel seuls certains membres de l’institution ont accès, est problématisé par les acteurs comme un gage de sérieux. Ces étapes dans la fabrication du chiffre avant sa médiatisation, visibles par une minorité permet de répondre principalement à un enjeu de sécurité intérieure, qui demande une manière spécifique d’organiser l’attestation du sérieux d’un chiffre.
Cet épisode critique de 2014 permet de saisir la façon dont la préfecture de Police de Paris problématisent ce qu’est la bonne indépendance experte en charge d’objectiver le nombre de manifestants. Dans cette configuration, la préfecture mobilise la science comme venant valider ses méthodes et procédés afin d’enrayer les critiques publiques. Les ressorts de la légitimité de l’institution repose sur sa compétence à dire le bon chiffre dans une arène relativement confinée dont les pratiques ont été validées par la science. Une fois une telle validation obtenue, le détail des pratiques peut rester confidentiel, afin de préserver, pour les représentants de l’institution, des enjeux de sécurité intérieure.
« Actuellement, on communique moins sur les chiffres. À cause des normes de sécurité, tout n’est pas ouvert. Au sein d’un même service, un collègue, si ça ne relève pas de sa fonction, n'a pas besoin de connaître le chiffre que tu as obtenu sur le terrain. C’est aussi une question d’ordre pénal. L’agent ne parle pas de ses chiffres.»
Rapport de la Comission de 2014
Cette manière d’organiser l’objectivité du comptage, par une science venant valider ex-post les méthodes de comptage ne fait pas l’unanimité dans l’espace public. Ces dernières années d’autres acteurs ont essayé de produire un chiffrage en organisant différemment leur manière d’objectiver le comptage des manifestants de façon indépendante.
Alternative aux institutions publiques
Dans un contexte médiatiquement présenté comme binaire, opposant les organisateurs des manifestations à la Préfecture de Police, Occurrence, cabinet privé d’études et de conseil en communication s’est attelé au comptage des manifestants en 2006. Considérant cela comme une action RSE complémentaire à leur expertise d’origine, les acteurs de ce cabinet se présentent comme en dehors des institutions publiques.
Assaël Adary, président du cabinet, espérait qu’en peu de temps, leur action aiderait à faire « converger les chiffres des manifestants et de la Préfecture ». Convaincu que « le chiffre est un bien commun et ne doit pas être instrumentalisé, idéologisé », il souhaitait que sa participation permette d’apaiser le débat en proposant un chiffre techniquement viable et dénué d'intérêt politique. Il avait aussi pour projet d’établir progressivement un nouveau seuil de légitimité qui aurait permis de calmer la compétition au chiffre le plus grand, la peur du chiffre décroissant : « 74 000 c’est déjà très bien ! ».
Se positionnant en faveur de la data déontologie, il inscrit le projet d’Occurrence dans un enjeu plus large. Une approche pédagogique visant à apprendre aux gens à comprendre d’où viennent les chiffres, à susciter cette curiosité en eux et leur donner les outils pour se retrouver dans leurs nombreuses actions publiques (leur site, des interviews, reportages, vidéos sur les réseaux sociaux). Par exemple, Assaël observe « un manque d’éducation aux chiffres » à travers, entre autres, la notion de densité : celle qui est scientifiquement mesurable diffère de la « densité ressentie », l’expérience manifestante peut induire en erreur, d’après Occurrence qui essaye de répondre à cela.
Pour Occurrence, l’effort de transparence passe d’abord par la volonté de rendre accessible à tous la méthodologie permettant d’aboutir au chiffre. Comme le souligne ici Assaël Adary, co-fondateur d'Occurrence :
« Nous communiquons (...) nous invitons les organisations à observer notre méthode : Mediapart publie notre tableau reprenant le chiffre toutes les 8 secondes, le chiffre brut, le chiffre redressé…»
Le cabinet a réalisé un premier comptage en 2008 qui a été relaté dans un article seulement. Face à l’insuccès de leur démarche qui s’est poursuivi en 2009 - année au cours de laquelle seuls 7 articles ont été publiés alors qu’Occurrence avait réalisé plusieurs comptages - leur participation s’est interrompue.
C’est en 2017 que le cabinet relance cette activité, jugeant le contexte de crise de la data favorable. L’apparition des fact checker dans les médias, celle des data journalists étaient autant d’arguments pour recommencer à proposer ses services. En effet, le comptage du cabinet Occurrence a eu bien plus de visibilité que précédemment et fut perçu comme une sorte de soulagement aux yeux de certains médias : celui de pouvoir utiliser un chiffre fiable et indépendant des institutions publiques.
À titre d’exemple, le 22 mars 2018, Le Parisien publiait un article intitulé « Grève : enfin une méthode indépendante pour compter les manifestants ». D’ailleurs, le partenariat avec ce cabinet résulte surtout d’une volonté des médias d’accéder à des chiffres au plus proche de la réalité et moins subjectifs. Thomas Legrand, éditorialiste à l’AFP a été, avec son initiative, le premier acteur de ce partenariat. Il expliquait à l’époque :
« On ne peut pas continuer à exposer comme vérité un écart de 1 à 5 ! La tradition démocratique française passe aussi par l’expression directe de la rue, il faut donc avoir une exigence de vérité sur l’ampleur des manifs ! [...] Les directeurs de rédaction de plusieurs médias (dont le nôtre) ont décidé de réfléchir, pour les prochaines manifs, à mettre en place une procédure de comptage afin d’aboutir à un chiffre de la presse, exposé comme un fait et non pas un argument.»
Dans cette quête de la bonne manière de compter, les acteurs mobilisent régulièrement une conception mécanique de l’objectivité au sein de laquelle les résultats du chiffrage reposent sur une conception de la technique unanime, non équivoque et non controversée.
La façon de produire une objectivité du chiffrage repose alors sur la capacité des acteurs à chaîner leur crédibilité à celle d’autres acteurs. La grande quantité de rédactions qui se sont associées au Cabinet Occurrence est un argument utilisé par le cabinet pour illustrer une forte confiance accordée à ce cabinet par les médias - après vérification des chiffres - ainsi qu’une indépendance d’esprit. Assaël Adary et Jocelyn Munoz rappellent que le spectre des médias qui les soutiennent s’étale sur des partis parfois totalement opposés politiquement, « de Médiapart au Figaro, La Croix à Libé ».
« Nous fondons notre crédibilité justement sur le fait que l’on travaille pour plus de 70 médias » (cf entretien). Cette diversité vient soutenir l’image indépendante, dénuée d’orientation politique de ce cabinet privé qui œuvre pour la qualité de l’information avant tout. Cette manière d’organiser l’objectivité par l’enrôlement d’une grande quantité d’acteurs s’adosse à un savoir algorithmique considéré comme mettant à distance l’arbitraire des pratiques de comptage.
Expertise algorithmique
D'ailleurs, Occurrence met en avant une vision algorithmique du comptage et y fondent une partie de leur crédibilité.
« Comme le redressement était une critique qui nous était très souvent faite, nous avons trouvé préférable d’améliorer la technique pour réduire notre intervention car plus le capteur est précis, plus le redressement est petit donc moins notre intervention compte.» (cf entretien)
Laisser la machine assurer davantage d’étapes dans la fabrication du chiffre permet de donner la part belle aux compétences standardisées. Ces dernières alimentent l’idéal démocratique d’une l’objectivité dénuée de jugement personnel, abordé précédemment à travers les propos de Theodore M. Porter. Moins l’intervention humaine est permise, moins les résultats seront arbitraires : voilà le paradigme qui guide les modifications techniques choisies par Occurrence.
Cependant, cette approche ne fait pas autorité unanime et le cabinet reçoit de nombreuses critiques sur ce projet dont l’origine semble résider en une vision mécanique de l’objectivité, qui apparaît aux yeux de certains comme une idéologie irréaliste.
Depuis des critiques de scientifiques de la méthode d’Occurrence et les récentes réserves du Monde à utiliser les chiffres du cabinet, L’ACRIMED condamne l'« idéologie journalistique, celle d’une information purement factuelle, objective, neutralisant la conflictualité du monde social » que représente désormais, à ses yeux, Occurrence.
Assaël Adary affirme que la critique d’une méthode n’est recevable que si l’auteur de cette critique en propose une meilleure mais le cabinet s’est vu répondre à diverses acteurs non experts du comptage qui leur ont adressé des arguments définis comme scientifiques dans un certain discours médiatique.
Ceux-ci sont principalement avancés par Bruno Andreotti. Le collectif de médias a souhaité une évaluation des méthodes d’Occurrence par ce physicien spécialiste des milieux granulaires. Thomas Legrand, journaliste à France Inter qui a orchestré ce groupement de médias autour d’Occurrence, invite donc l’expert à assister au comptage d’Occurrence.
Suite à cette entrevue, Bruno Andreotti publie ses observations et recommandations dans Mediapart, geste qu’il définit « d’intérêt général ». Au sein de ce rapport, il détaille la méthode employée par Occurrence et insiste sur les limites du dispositif d’Occurrence. Ces dernières prouvent, d’après lui, que le chiffre obtenu ne mérite pas une telle diffusion des médias lors des manifestations. Occurrence a répondu au rapport de Bruno Andreotti sur Twitter afin « d’enrichir » la publication du physicien.
Le physicien observe tout d’abord que l’algorithme ne distinguait pas correctement les manifestants entre eux lorsque le sol n’était pas visible pendant un certain temps, c'est-à-dire lorsque la densité est trop forte. En guise de réponse, Occurrence précise que l’algorithme conçu par Eurecam n’est pas fait pour reconnaître des personnes mais se concentre sur « un certain nombre de pixels qui vont dans un sens » ce qui implique qu’il n’est pas « insensible à la densité » comme l’avance Bruno Andreotti.
Le facteur multiplicatif employé pour corriger des imperfections survenues est également critiqué, jugé absurde. Il adopte une approche pédagogique, explique certains calculs pour prouver des erreurs statistiques que commettrait Occurrence. L’organisme demande de préciser davantage le procédé qui l’a mené à ces conclusions.
Il aborde certaines formes de manifestations (non « unidirectionnelles ordonnées ») qui mettent à l’épreuve la méthode d’Occurrence. En effet, il juge que celle-ci ne prend pas en compte les retours en arrière des manifestants alors que les actions des forces de l’ordre entreprises pour diriger la foule les rendent fréquents. Occurrence rappelle que le physicien n’est pas resté jusqu’à la fin de la séance de comptage ce qui l’a empêché de se rendre compte que les manifestants remontant le fil du cortège dans le sens inverse sont bien pris en compte. En revanche les deux acteurs semblent se rejoindre sur la question de la difficulté à compter les manifestants qui suivent le cortège ou s’y insèrent via les rues adjacentes.
Dans le rapport, il est recommandé à Occurrence de détailler les calculs entrepris pour obtenir de tels résultats afin que “l’intégrité du signal” puisse être vérifiée. Occurrence affirme que l’accès à un tableau reprenant les chiffres bruts, qui rend visible le “redressement” fait et la densité de 10 secondes est donné aux médias. L’organisme se défend en disant que leur méthodologie est claire et publique, qu’ils ont fait preuve de pédagogie de nombreuses fois en répondant à de très nombreuses questions.
Enfin le physicien aborde la faute éthique que représente pour lui le fait de diffuser un résultat précis alors qu’une marge d’erreur est évidente. Donner un intervalle permettrait de rendre transparentes les “incertitudes de mesure” et ainsi de proposer une hypothèse d’une qualité et d’une précision semblable à la performance de la méthode.
Ce nouveau moment de controverses permet de saisir une manière différente d’organiser l’indépendance en matière de chiffrage. Pour les cabinets privés, la crédibilité des résultats produits repose sur leur capacité à travailler les uns avec les autres et de médiatiser au maximum leur méthodologie. Face à la persistance de débats en matière de chiffrage, des journalistes ont également tenté de produire un chiffre de manière indépendante.
La production d’un chiffre par des institutions privées
Conclusion
Si la controverse du comptage des manifestants semble tant diviser les foules, c’est aussi que la rhétorique et le lexique autour de la situation s’intéressent essentiellement à savoir qui a raison. On met de côté la recherche d’objectivité alors même qu’elle est le principal argument de dénigrement d’un chiffre adverse. Ainsi, la controverse, dans sa lecture actuelle, ne permet pas de développer d’objectivité générale sur le sujet. En effet, la situation aujourd’hui est celle de la raison. On se bat pour donner le meilleur chiffre et l’on ne cherche pas à observer pour développer du contenu permettant une forme nouvelle d’objectivité sur le sujet. Ainsi, c’est la dynamique autour du comptage des manifestants qui semblent s’opposer à un apaisement. La volonté du Nombre Jaune d’accumuler du savoir sur le comptage n’a que peu de résonnance au sein de la sphère du comptage. L’information générale n’est pas assez évaluée et n’est pas au centre du débat puisque la finalité numéro une recherchée est celle d’avoir raison, d’avoir le chiffre qui "gagne".
Au sein d’un savoir complexe et finalement peu répandu, la position dominante paraît être plus importante à posséder que le fait de pouvoir évaluer et schématiser le contenu d’ensemble du comptage. Le problème réside aussi dans le fait que les acteurs de la controverse eux-mêmes lisent celle-ci à travers le prisme de la raison. Qu’importe le camp, le chiffre juste est souvent l’argument avancé quant au travail de comptage. Et l’on s’ouvre très peu à d’autres comptages par la suite. Propices à la création d’objectivité, l’observation du comptage d’autres acteurs est trop peu utilisée et généralement refoulée. On se prive donc de moment privilégiés qui permettraient d’associer, de réunir des acteurs du comptage en plein action et créer une certaine émulation porteuse d’espoir dans la recherche d’objectivité.Pour cela, il faudrait pouvoir dépasser les clivages liés aux opinions contraires qui empêchent les rapprochements en se focalisant sur la réussite et la raison accordée à un chiffre.
Tout au long de cette enquête, nous avons pu observer tout un ensemble d’éléments qui font le comptage. Sa prise en compte, ses prises de parties et sa définition même.
Du script à la méthode de comptage, nous avons montré que le comptage des manifestants repose sur un ensemble de techniques disparates et à l’approche parfois opposée ou éloignée. Il en va de même pour l’éthique face à la manifestation et au comptage ou encore des savoirs faire. A travers tous ces éléments, on peut commencer à construire une objectivité autour du comptage des manifestants. Par notre enquête, notre action se dédie à catégoriser et présenter les éléments qui font le comptage des manifestants. Par cela, nous œuvrons envers la fortification d’une objectivité tout en se séparant de l’aspect médiatique très fort de la controverse.
Ainsi, à l’image de cette enquête, quiconque voudrait s’atteler à un apaisement de la controverse, pourrait chercher à reconnaître les différentes façons de construire l’objectivité du comptage. Il pourrait ainsi, développer le débat sur les enjeux que porte le comptage et engager une réflexion sur ces clés morales et politiques qui actionnent d’autres leviers d’appréciation du comptage qui entrent dans la recherche d’objectivité. Il faudrait ainsi, aplanir et décrire toutes les situations déjà présentes et existantes pour en cartographier le contenu. Pour qu’à force de discussions et découvertes d’éléments, l’objectivité se mette petit à petit en place et prenne forme.
Il est aussi essentiel que le travail s’attelle à s’éloigner du compteur. La tâche à appréhender est que le chiffre ne doit pas être lu à travers son compteur. Ce n’est pas cela qui doit d’abord déterminer sa valeur, sa crédibilité. L'objectivité nécessaire se trouve dans la recherche et la prise d’informations quant aux différentes techniques de comptages. Ainsi, la recherche d’objectivité, la recherche de l’apaisement doit sûrement passer par de plus grandes recherches et une volonté de créer du contenu d’observation et d'analyse qui permettrait peut être, à force de débats, de discussions, de remises en questions et de tentative de créer une forme de compréhension entre acteurs et de changer la lecture de la controverse pour créer des terrains d’entente et une situation d’apaisement.